Introduction et appel à mobilisation
A. Contexte : nos terres agricoles sont menacées !
B. L’agrivoltaïsme et ses conséquences
C. Le Résap s’oppose à un projet agrivoltaïque dans la commune d’Aiseau-Presle
D. Nos revendications dans le cadre des élections
La Journée des luttes paysannes dans le contexte de la révolte agricole et des élections |
Comme chaque année, à l’occasion de la Journée internationale des luttes paysannes, les membres du Réseau de soutien à l’agriculture paysanne (RéSAP) et Agroecology in Action (AiA) se mobilisent pour mener des actions en faveur d’une agriculture paysanne nourricière et de la transition agroécologique. Cette année, cette action s’inscrit dans le cadre des révoltes agricoles en Europe et en Belgique qui, plus que jamais, démontrent l’urgence de transformer le système agroalimentaire. Après avoir dénoncé les pratiques d’accaparement de terres par la grande distribution, des transformateurs et bétonneurs en tout genre, les membres du Réseau de soutien à l’agriculture paysanne se mettent en action contre une nouvelle menace pour les terres agricoles : l’agri-voltaïsme. À Aiseau-Presles, la société Ether Energy prévoit de recouvrir 30 hectares de bonnes terres agricoles avec pas moins de 22 000 panneaux photovoltaïques. La commune s’y est opposée, mais la région a accordé un permis d’environnement ! Ce genre de projets pullulent dans nos pays voisins et partout dans le monde ; ils exercent une pression à la hausse sur les prix des terres en les louant à prix d’or, diminuent leur disponibilité pour les agriculteur·ice·s, détruisent nos paysages et diminuent la production nourricière si nécessaire à notre souveraineté alimentaire. Rien de très durable là-dedans.
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A. Contexte : nos terres agricoles sont menacées !
Des terres inaccessibles pour les agriculteurs et agricultrices
Les terres agricoles en Belgique sont les deuxièmes plus chères en Europe après les Pays-Bas. Et les prix continuent d’augmenter fortement ces dernières années. D’après les données de l’Observatoire du foncier agricole wallon, entre 2017 et 2022, les prix des terres situées en zone agricole ont augmenté de 33,7 %, passant de 27 205 €/ha à 36 368 €/ha, ce qui représente une hausse moyenne annuelle de 6,0 %. Il s’agit là de données officielles qui doivent être interprétées avec prudence. Dans de nombreux cas, les prix réels peuvent être beaucoup plus élevés, notamment suite à des pratiques d’évitement de l’impôt (paiement d’une partie en noir). Par ailleurs, il existe de fortes disparités entre les régions et les situations. Mais les données de l’Observatoire confirment en tout cas une évolution inquiétante et un prix de la terre de plus en plus délié de sa valeur agronomique.
Les terres agricoles sont donc devenues quasiment inaccessibles aux agriculteurs et agricultrices. Ils et elles ne peuvent plus acquérir de terres parce qu’elles sont devenues trop chères par rapport aux revenus générés par leur production. Autrement dit, une terre acquise au prix actuel prend plus d’une carrière d’agriculteur·rice pour être remboursée avec la rentabilité des produits alimentaires produits sur cette terre.
Ils et elles ne peuvent plus les prendre en location parce que les propriétaires refusent encore trop souvent de conclure des baux à ferme qui offrent aux agriculteur·.rice·s la sécurité à long terme indispensable pour développer leur activité. La réforme du bail à ferme offre pourtant des avantages fiscaux aux propriétaires.
La difficulté d’accès à la terre est devenue un obstacle majeur à l’installation de nouvelles fermes et à la transmission des fermes existantes, alors que le renouvellement des générations en agriculture est crucial. En effet, vu la pyramide des âges en agriculture, près de 70% agriculteur·rice·s ont plus de 50 ans et détiennent plus de la moitié des terres, ce qui fait que, dans les 10-15 ans, ces terres seront probablement vendues. Ce phénomène est encore accentué pour les femmes*, qui rencontrent des obstacles liés à leur genre dans l’accès aux terres [1]. Qui aura la capacité de les acquérir ? Les 8000 jeunes agriculteurs et agricultrices qu’il va falloir installer pour reprendre toutes les fermes à transmettre ? Tout porte à croire que ce ne sera malheureusement pas le cas. Car si le prix des terres est si élevé et qu’il continue d’augmenter d’année en année alors que le prix des produits alimentaires offert aux agriculteur·rices stagne, voire diminue, c’est parce que les terres peuvent actuellement être acquises par n’importe qui, à n’importe quel prix et pour y faire n’importe quoi !
Le marché foncier en Wallonie : un champ de bataille !
Ces dernières années, plusieurs instruments internationaux sont venus consacrer le droit à la terre pour les paysan·ne·s et recommandent l’adoption d’outils de gouvernance foncière [2]. De son côté, la Région wallonne s’est engagée à mettre en place une politique agricole visant à “conserver les surfaces affectées à la production agricole et contribuer à la baisse de la pression et de la spéculation foncière, en ce compris par une gestion coordonnée des terrains publics” (art. 1er du Code wallon de l’agriculture).
Mais actuellement, il n’existe aucune institution en Wallonie pour réguler le marché des terres, pour préserver leur fonction nourricière et pour en assurer l’accès aux agriculteurs et agricultrices. Les terres sont considérées comme une simple marchandise, sur un marché libre. Comme si elles ne présentaient aucun enjeu politique et pouvaient simplement être acquises par les plus riches, laissant de côté les agriculteurs et agricultrices et la population qu’ils et elles sont censés nourrir. Or, si on ne protège pas nos terres, comment allons-nous assurer notre sécurité alimentaire ?
Des terres : pour qui ?
Résultat : tout un panel d’acteurs spéculent sur les terres agricoles et font monter les prix, parfois sans y produire un radis pour nous nourrir ! Même les terres qui appartiennent aux institutions publiques ne sont pas à l’abri d’une vente au plus offrant. Les communes sont même parfois encouragées à vendre leurs terres pour renflouer les caisses publiques.
Des terres : pour quoi faire ?
En Wallonie, la définition de la zone agricole n’est pas assez restrictive. Outre l’activité de production nourricière, de nombreuses autres activités peuvent y être développées tant qu’elles n’affectent pas le sol : chevaux de loisir, sapins de Noël, productions énergétiques… Ces activités sont d’ailleurs généralement plus rentables que la production nourricière.
De plus, cette zone agricole n’est pas assez protégée. Elle constitue la réserve d’espace, qui s’étiole au fur et à mesure des besoins de notre société, avec l’urbanisation croissante et l’installation de zonings et constructions immobilières diverses.
Des terres : à quel prix ?
Ces diverses utilisations déterminent le prix des terres, qui est de plus en plus déconnecté de la réalité agricole. Dans le cadre d’un marché non régulé, c’est simplement le plus offrant qui fixe le prix, en fonction de ce qu’il peut y faire ou de ce qu’il croit pouvoir y faire ou du prix auquel il croit pouvoir revendre après quelques années, ce qui engendre une spéculation accrue.
Réguler le marché foncier ou condamner l’agriculture paysnne : un choix politique
Si le politique et les citoyen·nes ne s’emparent pas de cette question, c’est bientôt toute la Wallonie qui sera détenue par une poignée d’acteurs qui pourront décider de la production agricole… ou d’autres activités non productives. Plus d’agriculture de proximité, plus de fermes familiales, plus de production locale !
B. Enjeux et conséquences de l’agrivoltaïsme
L’agrivoltaïsme (APV) est un phénomène récent qui ne répond pas à une définition légale ou réglementaire en Belgique. Dans le cadre de ce document de positionnement, nous nous baserons ainsi sur le cadre légal français qui définit l’APV comme une installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole [3]. Cette production solaire sur des terres agricoles peut prendre différentes formes (panneaux au sol, structure en hauteur, panneaux mobiles ou non, panneaux bifaciaux) et s’appliquer à des contextes variés (prairies, grandes cultures, arboriculture…).
Différentes start-up sont aujourd’hui actives en Wallonie dans ce secteur, à l’image d’Ether Energy qui dénombre 45 projets agrivoltaïques à travers l’Europe. On lui doit d’ailleurs le tout premier projet agrivoltaïque en Wallonie, en production depuis septembre 2023 à Wierde, sur une surface de 13 hectares. Par ailleurs, une multitude de projets agri-PV sont à l’étude ou déjà inaugurés partout en Wallonie (Les-Bons-Villers, Chimay, Brugelette, Moha, Braine-l’Alleud, etc.) et le plus grand parc photovoltaïque (90 000 panneaux solaires sur 30 ha) est en cours de construction près de Jemeppe-sur-Sambre pour le compte d’INEOS Inovyn.
Les arguments avancés par les partisan·nes de l’agri-PV ne manquent pas : synergies entre l’agriculture durable, la biodiversité et les énergies solaires, maintien de la production agricole et de la vocation nourricière des terres, installation de jeunes agriculteur·rices...
Pourtant, un important coup de frein a été mis début 2022 aux ambitions des entrepreneurs, avec la publication d’une circulaire par le ministre wallon de l’Agriculture, Willy Borsus. Ce document, destiné aux administrations communales, vise à limiter la délivrance de permis pour le photovoltaïque au sol, sans toutefois les interdire. Malheureusement, cette circulaire a été revue en mars pour alléger l’octroi des permis dans certaines conditions, notamment lorsque la qualité agronomique des sols est reconnue comme médiocre. Sans définition claire, cette exemption risque de créer un véritable appel d’air pour les projets agrivoltaïques en Wallonie.
Mais pourquoi vouloir encadrer ce phénomène ? Car derrière les arguments de production d’énergie verte, de projets agroécologiques et de synergie vertueuse se cache une tout autre réalité.
Le rôle indispensable du photovoltaïque dans la transition énergétique |
Le Réseau de soutien à l’agriculture paysanne et AiA s’engagent totalement en faveur de la transition énergétique. Nous nous alignons notamment avec les positions de la Coalition Climat qui demande l’adoption d’une stratégie claire vers une énergie 100% durable bien avant 2050 (et de préférence en 2040). Le secteur de l’électricité devrait, lui, être 100% renouvelable bien avant cette date. Cette transition énergétique passera notamment par : une réduction de la consommation et une sobriété énergétique ; l’amélioration de l’efficacité énergétique ; le développement des énergies renouvelables, durables et respectueuses des droits humains dans des pays exportateurs des minéraux pour la transition. Dans ce contexte, il est clair que le solaire photovoltaïque sera un élément important du système énergétique européen et donc wallon à l’horizon 2050. Il s’agit d’un des systèmes d’énergie renouvelable les plus efficaces à l’heure actuelle. Il est donc important que la Wallonie soutienne un développement rapide de l’électricité photovoltaïque. Toutefois, tant le monde agricole que le secteur environnemental insistent pour que le développement du photovoltaïque se fasse de manière raisonnée et cohérente. Il ne peut pas se faire au détriment d’autres fonctions vitales que sont l’agriculture et la biodiversité. Les surfaces bâties sont largement suffisantes pour permettre le développement massif des énergies renouvelables. |
L’agrivoltaïsme compromet la production nourricière et entraîne l’artificialisation durable des terres
L’agrivoltaïsme, en déployant des installations solaires sur des terres agricoles, engendre une concurrence directe avec la production alimentaire. Ces installations APV restreignent la diversification des cultures et limitent les possibilités d’évolution des pratiques agricoles. Cette contrainte à long terme compromet la liberté d’action des agriculteurs et agricultrices et leur capacité à cultiver des denrées essentielles pour répondre aux besoins de la population. C’est une menace pour notre sécurité alimentaire.
De plus, l’installation de panneaux photovoltaïques sur les terres agricoles entraîne une artificialisation durable du sol, compromettant ainsi sa fertilité et sa capacité à soutenir une agriculture productive à long terme. Les impacts sur la biodiversité et les écosystèmes locaux sont également inacceptables.
Nous sommes conscient·e·s des défis énergétiques auxquels notre société est confrontée, mais nous croyons fermement qu’il existe des alternatives viables qui n’impliquent pas la conversion des terres agricoles en sites de production d’énergie. L’optimisation des espaces urbains, le développement de technologies solaires sur des terrains non agricoles ou déjà artificialisés et la promotion de la sobriété et de l’efficacité énergétique sont autant de solutions à explorer.
L’agrivoltaïsme accentue les inégalités
Des mesures politiques de sobriété sont en effet indispensables : la transition énergétique de l’Union européenne a un impact dramatique sur les populations des pays d’extraction des matières premières, comme la RD Congo : accaparements de terres, pollutions, conflits armés, violations des droits humains. De plus, il est illusoire d’espérer extraire suffisamment de matières premières nécessaires aux énergies renouvelables pour maintenir notre niveau de consommation énergétique.
Par ailleurs, en Belgique, l’héritage des exploitations agricoles se fait traditionnellement vers les hommes, et les femmes obtiennent des prêts bancaires plus faibles pour un même projet. Les agricultrices font donc face à des obstacles supplémentaires dans l’accès à la terre [4]. Accroître la pression sur les terres ne ferait qu’aggraver leur situation. Elles bénéficient également moins du développement des énergies renouvelables car elles ne représentent que 32 % de la main-d’œuvre européennes dans ce secteur [5]. La sobriété énergétique doit être une responsabilité de toute la société et ne doit pas alourdir la charge mentale des femmes au vu de la répartition actuelle des tâches domestique au sein des ménages [6]. L’extraction minière accentue également les discriminations liées au genre dans les zones où elle a lieu (agriculture vivrière menacée, exclusion de l’activité économique locale, créations d’emplois peu valorisés, augmentation des violences et du harcèlement sexistes et sexuelles) [7].
L’agrivoltaïsme n’est pas une solution pour la viabilité économique des projets paysans
Face à un secteur touché par une crise structurelle du revenu, les promoteurs de l’APV se présentent comme des “soutiens” du monde agricole qui offriraient une diversification des revenus de l’exploitation. En effet, le loyer offert par les start-up pour les terres agricoles dépasse largement le montant que les agriculteur·rice·s peuvent aujourd’hui dégager de la vente de leur production.
Si les projets d’APV apportent à court terme un complément de revenu important aux agriculteurs et agricultrices, c’est la pérennité de nos exploitations agricoles qui est menacée à moyen et long terme par ce phénomène. La mise à disposition des terres nourricières pour des sociétés qui s’enrichissent aux dépens de l’agriculture paysanne prive celle-ci de son autonomie et la met en péril.
Nous rappelons que la durabilité économique de nos fermes doit passer avant tout par des prix rémunérateurs et non par le développement d’activités non agricoles. Les paysannes et les paysans veulent vivre de leur métier, non pas de la location de leur outil de travail à d’autres fins que nourricières, même s’il s’agit d’énergies renouvelables.
L’agrivoltaïsme a un impact majeur sur les prix et la disponibilité du foncier
Alors que la pression sur le foncier est déjà extrêmement forte en Wallonie, l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché entraîne une pression supplémentaire, impactant le prix et la disponibilité du foncier agricole pour les agriculteurs et agricultrices.
En effet, la production d’énergie étant largement plus rémunératrice que l’activité agricole (revenu environ 10 fois supérieur), cette nouvelle activité risque d’orienter les propriétaires fonciers vers de tels projets plutôt que de louer leurs terres sous bail à la ferme à des agriculteurs ou agricultrices. Si le propriétaire terrien est un agriculteur ou une agricultrice en fin de carrière, les contrats agrivoltaïques sont également un incitant à garder les terres pour bénéficier d’une rente foncière engendrant alors une rétention des surfaces agricoles et verrouillant encore un peu plus l’accès à la terre pour les jeunes agriculteurs et agricultrices.
Les achats de terres agricoles à des prix surévalués pour implanter des panneaux solaires se répercuteront indéniablement sur le prix des terres agricoles.
Les surfaces concernées par les projets - les prairies permanentes et les pâtures - sont pourtant celles qui offrent le plus d’intérêt pour la biodiversité et le piégeage du carbone.
Nous pensons ainsi que pour assurer le renouvellement des générations et un accès au foncier, aucun projet d’APV ne doit voir le jour sur des terres destinées à l’agriculture.
L’agrivoltaïsme participe à la dégradation de la qualité de vie au travail et à la transformation de nos paysages en parc industriel
L’agrivoltaïsme, en dépit de ses prétentions écologiques, menace gravement la qualité de vie des agriculteurs et agricultrices. Dans un contexte où l’agriculture est l’une des professions les moins rémunérées, où un malaise profond affecte la profession et où un besoin massif de recrutement se profile avec les départs à la retraite, la qualité de vie au travail demeure une motivation essentielle. Au lieu de travailler dans des environnements naturels, ces derniers se retrouvent sous l’ombre des panneaux, sacrifiant ainsi leur lien précieux avec la terre. Cette industrialisation des terres agricoles dégrade également les paysages ruraux, au profit de quelques-uns. Il est temps de refuser cette marche vers une campagne transformée en parc industriel, et de privilégier des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et du bien-être des agriculteur·rice·s.
Il existe des alternatives : le photovoltaïque peut se développer ailleurs
Le photovoltaïque doit se développer sur les zones artificialisées telles que les toitures, les friches industrielles, les parkings, les bords d’autoroute…. C’est un investissement à long terme, qui ne doit pas affecter notre souveraineté alimentaire.
En 2023, la Wallonie compterait 3228 hectares de “sites à réaménager de fait” (friches industrielles, bâtiments autres que du logement à réaménager - iweps.be) qui sont en grande partie propices à recevoir des panneaux PV. Le Hainaut est d’ailleurs la province qui arrive en tête des surfaces disponibles en termes de recyclage d’espace (1748 ha).
La mobilisation de ce potentiel permettrait d’atteindre des objectifs de production d’énergie PV sans toucher aux terres agricoles et forestières. Nous demandons un recensement exhaustif de ces surfaces à l’échelle régionale et la publication des résultats.
Par ailleurs, les bâtiments agricoles offrent une grande surface disponible pour l’installation de panneaux photovoltaïques. De plus, ces installations peuvent permettre d’augmenter l’autonomie énergétique de la ferme. Actuellement, ces surfaces sont sous-valorisées. Il s’agit là aussi de projets à encourager.
3. Le Résap s’oppose à un projet agrivoltaïque dans la commune d’Aiseau-Presles
Que se passe-t-il à Aiseau-Presles ?
Le Résap a choisi de se mobiliser contre un cas concret d’implantation de panneaux photovoltaïque en zone agricole à Aiseau-Presles. Le projet visé a été introduit par la société bruxelloise Ether Energy. Il est prévu d’installer 22 000 panneaux photovoltaïques sur 30 ha de terrain, ce qui représente 5% des terres arables de la commune.
Ether Energy, un nouvel acteur sur nos terres agricoles
Ether Energy se présente comme société experte en agrivoltaïsme, mettant en avant qu’elle propose une solution permettant de combiner une activité agricole et photovoltaïque sur un même terrain tout en maintenant la production agricole et la vocation nourricière des terres.
“Le projet d’Éther Energy est né en 2020 par la rencontre de 3 entrepreneurs passionnés avec une envie d’accélérer la transition énergétique en Europe. Un peu plus de 2 ans plus tard, Ether Energy est présent en Belgique, France et au Luxembourg et ne compte pas s’arrêter là. Acteur de référence en France avec plus de 200 hectares en développement. Premier acteur en Belgique à obtenir un permis agrivoltaïque de 10 MW et premier acteur au Luxembourg à développer un champ agrivoltaïque de 10 MW.” (https://etherenergy.eu/a-propos/)
Une commune exemplaire, mais une région qui s’entête
Suite au dépôt du dossier en septembre 2022, la commune d’Aiseau-Presles n’a pas accueilli le projet favorablement. Les raisons sont nombreuses : la commune évoque notamment le risque d’incendie, d’explosion d’un transformateur et de pollution du sol et du sous-sol suite à une fuite éventuelle. Elle se réfère également à la circulaire du 12 janvier 2022 du ministre Borsus, rappelant la vocation première des terres agricoles d’être des terres nourricières.
Les fonctionnaires technique et délégué ont cependant donné leur accord au projet en délivrant un permis unique de classe 2, le 5 septembre 2023, “pour l’installation et l’exploitation d’un projet agrivoltaïque regroupant la production d’électricité, un pâturage d’ovins et la production de miel, Chemin Taille Marie à 6250 Presles”.
Pointons à ce stade, le fait qu’Ether Energy a conclu un partenariat avec la SRIW, devenue Wallonie Entreprendre (WE), outil économique et financier wallon de soutien aux entreprises, dans le but de créer ces champs agrivoltaïques [8].
L’administration wallonne se retrouve quelque peu “juge et partie” en devant se prononcer sur la faisabilité de projets agrivoltaïques qu’elle soutient financièrement par ailleurs.
Suite au feu vert de la Région, la commune a introduit un recours contre cette décision.
Des panneaux, des moutons et des abeilles ?
Le terrain est actuellement à destination agricole et occupé par des cultures. Pour justifier l’installation de 22 000 panneaux sur ces terres, Ether Energy propose un projet dans lequel des brebis et des ruches seront placées sur le terrain. Alex Houtart d’Ether Energy estime que “le vrai problème reste ce phénomène Nimby, tout le monde veut faire des efforts pour le climat, mais personne n’en veut chez soi." (Télésambre).
Dominique Grenier, échevin de l’environnement, rétorque que : “Le site est choisi de manière économique, pas par rapport aux enjeux de biodiversité. Alors oui, on met des chèvres, mais c’est surtout pour tondre la pelouse, sous les panneaux !” (Télésambre).
Selon Télésambre, à côté des cultures, “le site de Taille Marie concentre sur 120 ha, des bois, des prairies, et des zones protégées avec des arbres remarquables, des rapaces d’une espèce rare, un site qui accueille des chauves-souris et des vestiges gallo-romains mis au jour en 2015. La commune y a par ailleurs aménagé un sentier de promenade qui correspond à un corridor de passage pour les animaux sauvages. On y trouve deux zones protégées à savoir le bosquet "des cochons" et "le chêne à l’image"”.
La Ministre Tellier a été interrogée concernant ce projet à la lumière de la circulaire du 12 janvier 2022 relative aux permis d’urbanisme pour le photovoltaïque : “En tant que Ministre en charge de la Ruralité, (...) il me paraît essentiel d’avoir une attention à notre souveraineté alimentaire et à la fonction nourricière de l’agriculture, sans bien entendu sous-estimer les besoins énergétiques et de transition énergétique de notre Région. Les conséquences de la couverture importante de superficies par des panneaux photovoltaïques doivent donc être analysées, de même que l’impact sur le prix du foncier et de l’accès à la terre pour les jeunes agriculteurs. Dans une rare unanimité, la plupart des acteurs wallons de la ruralité estiment que les zones agricoles ont, d’abord et avant tout, une vocation alimentaire et que d’autres espaces, tels que des friches industrielles ou des terrains impropres à la production agricole, devraient être privilégiés.”
Dans le cadre de la demande de permis d’environnement du projet d’Ether Energy à Aiseau-Presles, de nombreux acteurs ont remis un avis (favorable ou non). Notons entre autres celui du SPW ARNE - DRCB - Direction du Développement rural - Thuin :
- Il est faux de dire que le projet n’engendre aucune perte de surface exploitable. Le projet ne justifie également pas le passage en BIO d’une partie de l’exploitation agricole. La culture en BIO pouvant se réaliser sans ce projet ;
- Concernant le nombre de brebis par hectare, pour une situation de pâturage sur l’ensemble, et pour un renouvellement du fourrage nécessaire aux besoins des brebis, il ne faut pas dépasser 8 brebis à l’hectare. Compte tenu de la superficie des parcelles du projet et de l’encombrement dû aux panneaux, les 200 brebis mentionnées dans le projet sont nettement exagérées. D’autre part, les ovins mangeant régulièrement les prairies, la prairie n’atteint que rarement la floraison, et donc est inutilisable par les abeilles car il leur faut des superficies fleuries non broutées. La conclusion est que les filières ovines et apicoles sont incompatibles.
- En ce qui concerne l’élevage apicole, ASAPISTRA recommande un maximum de 3,1 ruches par km² pour garantir un équilibre. En effet, lorsqu’elles sont trop nombreuses, les abeilles mellifères peuvent entrer en compétition avec les pollinisateurs sauvages pour les ressources alimentaires limitées. Les chiffres de la filière apicole présentés dans le projet sont également nettement exagérés ;
- Concernant la pérennité de la prairie, il est à noter qu’il sera très difficile, voire impossible de réensemencer la prairie lorsque les panneaux seront installés ;
- Concernant l’utilisation des parcelles depuis 2008, soit 15 ans et en extrapolant à 30 ans, les parcelles concernées produisent 658 tonnes de colza et navette d’hiver, 2570 tonnes de froment d’hiver, 357 tonnes de lin, 122 tonnes de luzerne, 1985 tonnes de maïs d’ensilage, 1004 tonnes d’orge d’hiver. Ces chiffres sont en totale contradiction avec le qualificatif de terres réputées pauvres par le requérant.
La direction du développement rural - Thuin ajoute encore :
“Il est absolument nécessaire de les préserver [les terres agricoles] et d’ailleurs la déclaration de politique générale du Gouvernement wallon le requiert dans ses textes. La superficie agricole utile en Belgique est de 13 670 KM². Cela fait une superficie agricole utile de 12 ares par habitant. À titre de comparaison, la France en est à 41 ares par habitant et l’Allemagne et l’Italie à 21 ares par habitant. Et entre 2003 et 2021, le tandem Belgique/Luxembourg a perdu 2 ares par habitant de superficie agricole utile. La pression sur la zone agricole est très forte, aussi par les parcelles non urbanisables ayant été bâties. Entre 1985 et 2015, 59 000 ha de bonnes terres agricoles ont disparu. La pression est tellement forte sur le monde agricole que le nombre d’exploitations a littéralement fondu passant de 113 883 unités en 1980 à 36 913 unités en 2015 en Belgique, de 37 843 unités en 1980 à 12 867 unités en 2015 en Wallonie. Les exploitations ont dû grandir pour survivre. Les prix à l’hectare ont augmenté de 6,6% entre 2017 et 2021. La fonction nourricière de la zone agricole n’a jamais été autant attaquée de toute part. Il est grand temps d’y mettre un terme afin de garantir l’approvisionnement de la population pour son alimentation. Il s’agit d’un besoin fondamental”.
Le Résap s’oppose à tout projet du type de celui porté par Ether Energy à Aiseau-Presles et ailleurs. Le photovoltaïque n’a pas sa place sur des terres nourricières, même s’il s’accompagne de moutons et de ruches pour lui donner une justification “agricole” et de “transition”.
D. Nos revendications dans le cadre des élections
La Wallonie doit se doter d’outils pour protéger nos terres agricoles et en assurer l’accès aux agriculteur.rice.s qui produisent notre alimentation |
Nos priorités :
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Une panoplie d’outils doivent être mis en place pour protéger nos terres nourricières :
1. Légiférer contre les projets d’agriPV
- Aller plus loin que la circulaire et légiférer pour interdire la délivrance de permis d’installations APV sur les terres agricoles.
- Recenser toutes les autres zones propices à l’installation PV (toitures, parkings, friches, toitures, zonings, bords d’autoroute…)
- Encourager l’installation de PV sur les toits des bâtiments agricoles.
2. Protéger la fonction nourricière des terres agricoles
- Instaurer un statut de protection des terres agricoles nourricières
- Restreindre la définition de la zone agricole pour protéger sa vocation nourricière
- Instaurer des zones nourricières protégées où aucune autre activité ne sera autorisée
- Protéger les terres agricoles “de fait” (qui sont utilisées comme des terres agricoles, mais qui ne sont pas situées en zone agricole et qui sont donc encore plus menacées)
3. Réguler le marché foncier
- Mettre en place un organisme public capable d’acquérir des terres agricoles pour du portage ou du stockage de terres.
- Mettre en place un droit de préemption avec faculté de révision du prix si celui-ci est spéculatif, afin de réaliser des actions de portage et de stockage
- Dans le cadre de ce droit de préemption, instaurer une obligation de notification des intentions de vente de terres agricoles sur un site spécialisé géré par cet organisme, en vue d’un droit d’acquisition prioritaire selon certains critères (ex. taille des fermes, âge de l’agriculteur·rice…)
- Instaurer un mécanisme de validation des ventes de terres permettant d’interdire ou d’invalider les ventes qui menacent la vocation nourricière des terres agricoles (ex. AgriPV, urbanisation…)
- Interdire les ventes de terres via Biddit (surenchères via internet qui permettent l’acquisition de terres sous couvert d’anonymat et empêche le contrôle social)
- Allonger le régime de taxation sur la plus-value des terres non bâties pour le rendre plus efficace (actuellement, il s’applique seulement en cas de revente dans les 8 ans) et taxer les ventes de terres quand celle-ci ne sont pas vendues à un agriculteur ou à une agricultrice actif/active ou qui ne sont pas louées en bail à ferme à un agriculteur ou une agricultrice actif/active.
4. Protéger les terres publiques
- Imposer un moratoire sur la vente de terres publiques
- Mettre les terres publiques à disposition des agriculteur.rice.s qui nous nourrissent, dans le respect du bail à ferme
5. Renforcer les coopératives foncières
- Renforcer les coopératives citoyennes et paysannes d’acquisition de terres en instaurant une exemption des droits d’enregistrement et des avantages fiscaux pour les coopérateur.rice.s, afin de leur permettre de rassembler plus de moyens pour faciliter l’accès à la terre pour les agriculteur.rice.s et renforcer l’action de l’organisme public grâce à des capitaux privés au service de l’agriculture.