La journée internationale des luttes paysannes
1. STOP BÉTON !
- La bétonnière tourne au détriment de l’agriculture
- En Flandre, un Stop béton avorté
- Un obstacle de plus à l’accès à la terre
- L’aéroport de Liège accélère la bétonisation des terres
2. Le Stop béton, un acte solidaire
- Les terres et les denrées perdues ici sont reprises ailleurs
- Bétonner pour un aéroport : double peine pour le climat
- Des solutions inefficaces et nuisibles
3. Soutenir l’agriculture plutôt que financer la destruction
- Un projet nuisible et coûteux
- Des emplois dépourvus de sens
- La transition créerait des emplois de qualité
4. Les revendications du RESAP
Le 17 avril 1996, dix-neuf paysans du mouvement des sans-terre au Brésil étaient assassinés par des tueurs à la solde de grands propriétaires terriens. En mémoire de leur combat, le mouvement paysan international La Via Campesina fait du 17 avril la "Journée internationale des luttes paysannes". Chaque année des actions de solidarité avec les paysan.ne.s sont menées aux quatre coins de la planète. En Belgique, à cette occasion, le Réseau de Soutien à l’Agriculture Paysanne (ReSAP) organise des mobilisations depuis une dizaine d’années. Ces actions sont une opportunité pour les mouvements paysans et leurs alliés d’apporter un soutien à des luttes concrètes pour la protection des terres agricoles et contre des projets destructeurs de l’agriculture paysanne et nourricière. Ce fut notamment le cas :
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1. STOP BÉTON !
La bétonnière tourne au détriment de l’agriculture
Le gouvernement wallon s’est engagé à ne plus artificialiser son territoire d’ici 2050. L’objectif est bon, mais le délai bien trop tardif ! Face à l’urgence, nous demandons des actions concrètes à court et moyen terme pour préserver les terres agricoles.
En Wallonie, la surface bétonnée de terres fertiles et de zones naturelles a augmenté d’environ 40% au cours des 30 dernières années. Avec 11,4% de son territoire bétonné (2018), la Belgique est le troisième pays d’Europe le plus artificialisé.
Les grands perdants de cette bétonisation sont le secteur de l’agriculture et les citoyen·ne·s qui veulent se nourrir localement. En Wallonie, 577 km2 de terres agricoles ont été artificialisés entre 1985 et 2022, soit 1560 hectares par an en moyenne (soit l’équivalent de 2000 terrains de foot). Cela représente une perte de 6,6% des terres arables en 37 ans.
L’artificialisation des terres cultivées est le fruit d’une politique d’aménagement du territoire laxiste au service de l’urbanisation. Les plans de secteur, adoptés dans les années 70’ et 80’, ont donné une place beaucoup trop importante aux zones constructibles. Cela a favorisé l’étalement urbain, principalement aux dépens des terres agricoles. Cette situation est en totale déconnexion avec les enjeux actuels d’accès à la terre pour les paysan.ne.s et avec les besoins au regard des crises climatiques et de la biodiversité. En effet, les sols sains stockent le carbone et atténuent l’impact du dérèglement climatique grâce à leur grande capacité de rétention d’eau, ce qui réduit l’impact des inondations et des sécheresses. Les espaces ouverts sont également nécessaires pour lutter contre la crise de la biodiversité. Rien ne pousse ou ne vit sur du béton. Malgré cela, de nombreuses terres agricoles sont situées dans les zones urbanisables des plans de secteur, ce qui autorise leur bétonisation.
À l’échelle de la Wallonie, il reste une offre potentielle de 53 800 ha "à urbaniser". Ceci aboutirait au total à une augmentation d’encore 30% de l’étalement urbain due au développement du secteur résidentiel. [1] Cette artificialisation supplémentaire serait une catastrophe pour la Wallonie ! La résilience du territoire face aux dérèglements climatiques et la restauration de la biodiversité en sortiraient perdants tout comme le secteur agricole dans son ensemble...
En plus de cette artificialisation « prévue » au Plan de Secteur, il y a également celle qui découle des modifications du Plan de secteur : des zones non destinées à l’urbanisation (zone agricole, forestière ou naturelle) sont converties principalement en zones d’activités économiques, ou « zonings ». Ainsi, en 2022, ce sont près de 180 hectares de terres agricoles [2] qui sont en cours de procédure pour être converties en zones d’activités économiques. Ces terres fertiles sont expropriées pour y couler du béton.
Bien que la Wallonie compte 3720 hectares de friches et d’anciens sites industriels à réaménager, les entreprises privilégient les terrains non bétonnés, plus faciles et moins coûteux à convertir. La Wallonie persiste, à travers ses nombreuses intercommunales, à financer la création de ces zonings monofonctionnels, destructeurs de terres agricoles.
Force est de constater qu’en Flandre, la situation est similaire puisque c’est en moyenne 5 hectares [3] d’espaces ouverts qui disparaissent chaque jour principalement pour créer des logements. Malgré de nombreux espaces vacants ou sous-utilisés, la bétonisation continue y-compris sur des terres utilisées pour la production nourricière. Seul un “stop béton” concret, immédiat et financièrement réaliste couplé à une réutilisation optimale des espaces vacants pourra garantir qu’aucune autre terre destinée à la nature et à la production alimentaire ne sera accaparée par le logement et l’industrie. Le problème majeur du stop béton flamand - approuvé par le Parlement flamand en 2022 - reste l’absence de fonds suffisants pour permettre la réaffectation des terrains à bâtir par les autorités locales, qui ont pourtant cette responsabilité. Et ce alors que le gouvernement flamand a décidé d’indemniser les propriétaires à hauteur de 100% de la valeur marchande actuelle du terrain, au lieu des 80 % de la valeur d’achat comme le prévoit la réglementation actuelle. Les communes ne disposent tout simplement pas des fonds nécessaires pour lutter contre la bétonisation. En outre, de nombreux propriétaires de terrains feraient d’énormes bénéfices sur la réaffectation de terrains constructibles non bâtis, aux dépens du contribuable. Toutefois, le décret qui doit être approuvé à l’automne 2023 est positif car il met fin aux règles souples relatives au développement résidentiel sur les terres agricoles. |
Un obstacle de plus à l’accès à la terre
Lorsque l’urbanisation progresse, ce sont autant d’hectares qui sont retirés à l’activité agricole. Cela participe à la croissance rapide des prix des terres agricoles, exacerbée par les concurrences d’usage (cultures dédiées à la production d’énergie, chevaux, sapins de Noël, agrivoltaïsme) et par le rachat massif de terres par l’industrie agroalimentaire et d’autres acteurs qui la considèrent comme une simple valeur refuge et un placement d’argent.
Cette augmentation des prix aggrave la difficulté d’accès à la terre pour ceux et celles qui souhaitent développer un projet d’agriculture économiquement, écologiquement et socialement soutenable. Pour les repreneurs·euses de fermes existantes, le coût de rachat est devenu inabordable.
Révision en profondeur du SDT, du CoDT et du Plan de Secteur : accélérer le mouvement !
Pour faire face à l’artificialisation le ministre Willy Borsus, en charge de l’aménagement du territoire, a annoncé la révision du Code de développement territorial (CoDT) et du Schéma de développement territorial (SDT) [4]. Ces projets de réforme viennent d’être adoptés par le gouvernement wallon (en deuxième lecture) [5]. Les mesures annoncées semblent aller dans le bon sens, mais pas assez vite ni assez loin. Une révision plus profonde et rapide est nécessaire à la lumière des défis posés par les crises du climat et de la biodiversité. Depuis l’entrée en vigueur des précédents SDT et CoDT, des milliers d’hectares de terres agricoles ont été bétonnés. Le danger de l’asphaltage est apparu clairement lors des inondations de l’été 2021.
Il est donc impératif que les nouveaux SDT et CoDT entrent en vigueur dès que possible, avec des règles claires qui mettent fin à l’étalement urbain et à la bétonisation des terres agricoles.
Les propositions actuelles pour le CoDT et le SDT semblent plutôt positives, comme le frein à l’étalement urbain et les nouvelles règles pour protéger les espaces verts et les espaces cultivés en dehors des centres urbains et ruraux (appelés “centralités”). Néanmoins, à ce stade, les propositions ne disposent pas d’un axe spécifique à la résilience alimentaire. Ceci est pourtant indispensable pour reconnaître la vocation nourricière des terres agricoles et leur conférer un statut particulier et une protection renforcée en les soustrayant à la pression de l’urbanisation. Par ailleurs, la Région wallonne risque de répéter les erreurs de la Flandre, en plaçant la responsabilité de la mise en œuvre d’un stop béton sur les communes sans y associer les ressources financières et de soutien nécessaires.
Le plan de secteur doit également être revu en profondeur afin de reconnaître légalement les terres cultivées actuelles en tant que terres agricoles, empêchant ainsi toute artificialisation légale.
Il convient de mettre un terme immédiat à tout changement d’affectation des terres agricoles en zones urbanisables. Il existe bien assez d’espace dans les centralités et de friches et sites à réaménager pour satisfaire les besoins de logements et d’activités économiques. Plus aucune terre agricole ne doit être sacrifiée pour la bonne convenance de promoteurs immobiliers ou d’intérêts économiques à court terme.
Il est notamment indispensable que les Intercommunales de Développement Économique (IDE), financées par la Région wallonne, intègrent ce postulat de base dans leur mission de développement économique de la Région.
L’aéroport de Liège accélère la bétonisation des terres
Avec l’ambition de devenir un centre logistique incontournable en Europe, l’aéroport de Liège participe grandement à l’artificialisation des terres wallonnes. En 2003, 470,8 hectares de terrains – pour la plupart des terres cultivables – bordant l’aéroport ont été inscrits en zones d’activités économiques au plan de secteur [6]. Parmis ceux-ci, ce sont 350 hectares [7] de terrains qui sont proposés par la SOWAER aux entreprises qui désirent s’installer autour de l’aéroport.
Parmi ces terrains, de nombreux hectares sont encore cultivés, particulièrement dans les zones Stockis, Cubber et Jolive. Ces cultures sont donc menacées.
En outre, les agriculteurs qui s’expriment sur l’expropriation de leurs terres se disent fréquemment lésés par les prix proposés par la SOWAER, qui sont parfois imposés et considérés inférieurs à la valeur du marché.
L’aéroport de Liège possède une infrastructure de 11.000m² consacrés à l’import-export de denrées périssables via le centre logistique. [8] L’avion est privilégié pour la rapidité de transport, permettant d’assurer la conservation des asperges qui ont parcouru le monde.
Un inspecteur vétérinaire chargé du contrôle à l’importation des denrées à l’aéroport de Liège les décrivait de cette manière : “Principalement du poisson, comme les fameuses perches du Nil qui viennent de Tanzanie, d’Ouganda ou du Kenya. Nous avons du homard canadien et également des fleurs, des fruits et des légumes qui nous viennent d’Israël ou d’Éthiopie, où il y a un vol pratiquement journalier [9]”
Ce choix politique entre en nette opposition avec le modèle alimentaire souhaité par la population liégeoise. Dans le cadre de #Réinventons Liège et de Liège 2025, celle-ci s’est donné comme objectif, pour les vingt-cinq prochaines années de produire localement la moitié de la nourriture qu’elle consomme. L’accaparement des terres agricoles au profit de l’import/export de nourriture ne contribue pas au développement d’une politique alimentaire durable.
2. Le Stop béton, un acte solidaire
Les terres et les denrées perdues ici sont reprises ailleurs
Chaque hectare cultivable qui disparaît en Belgique augmente encore la pression que nous exerçons sur les terres, la sécurité alimentaire, l’environnement et les droits humains dans le Sud Global.
Contrairement à une idée reçue, l’Europe ne nourrit pas le monde. Malgré une balance commerciale excédentaire [10], du point de vue nutritionnel, l’UE est en déficit. Nous importons 11% des calories et 26% des protéines que nous consommons [11]. Dans le Sud Global, pour répondre à la demande européenne, l’orientation des cultures vers l’exportation entraîne une hausse des prix des denrées, la perte de l’accès à la terre, des accaparement par des entreprises étrangères, la perte des aliments traditionnels, la chute de la biodiversité et des difficultés accrues d’approvisionnement en eau. Entre 2005 et 2017, plus de 3 millions d’hectares de forêt ont été détruits pour répondre à la demande agricole européenne. Cette déforestation a libéré 1807 tonnes de CO2, soit 40% des émissions annuelles de l’Union européenne.
Selon Global Witness, 321 personnes ont été tuées dans le monde parce qu’elles défendaient leurs droits face aux entreprises de l’agrobusiness et de la déforestation [12]. Les populations autochtones voient également leurs droits bafoués. Au Brésil, grand exportateur de matière première agricole vers l’Europe, “les ‘invasions’ de territoires des communautés paysannes, traditionnelles, quilombolas et peuples autochtones ont augmenté de 1880% en 2020 par rapport à 2019” [13].
Bétonner pour un aéroport : double peine pour le climat
Si le réchauffement climatique n’épargne personne, il impacte particulièrement les paysan.ne.s du Sud. La proportion de personnes dépendant d’une agriculture de subsistance y est plus élevée, et les régions tropicales sont davantage soumises aux phénomènes météorologiques extrêmes. Selon le GIEC, “les communautés vulnérables qui ont historiquement le moins contribué au changement climatique sont touchées de manière disproportionnées” [14]. Gros émetteur de gaz à effet de serre, il serait juste que la Belgique contribue davantage aux efforts pour le climat. Pourtant, d’après le climatologue Pierre Ozer, les émissions de CO2 à Liège Airport explosent et annulent la totalité des efforts wallons de réduction de dioxyde de carbone [15].
La production de béton est responsable de 7 à 8% des émissions mondiales de CO2 [16]. Le secteur aérien a quant à lui été responsable de 5,1% du réchauffement climatique causé par l’humain entre 2000 et 2018. Artificialiser une surface cultivable revient à se priver d’un outil pour développer une activité nourricière, positive tant pour la souveraineté alimentaire que pour l’environnement et le climat. Lorsque ces terres sont couvertes de béton et sacrifiées au transport aérien, l’impact climatique est doublement négatif.
Des solutions inefficaces et nuisibles
Les efforts consentis en matière climatique par Liège Airport ne concernent pas les activités des sous-concessionnaires ni le trafic aérien. Ils sont donc “marginaux”, selon les mots du bureau d’étude Aries, qui a réalisé l’étude d’impact sur l’environnement pour l’extension de Liège Airport [17]. En plus d’être insignifiants, ces “efforts” sont inefficaces pour lutter contre le réchauffement climatique, et nuisibles pour les paysan·ne·s du Sud Global.
Liège Airport privilégie les compensations carbone. Pourtant, leur inefficacité est avérée. Une étude du Guardian démontre que seuls 5% des crédits carbone émis par le principal acteur de ce marché ont un effet bénéfique sur le climat. En 2019, Luc Partoune, ancien CEO de Liège Airport, annonçait la plantation de 600 000 arbres à Madagascar en partenariat avec l’ONG Graine de Vie pour compenser les émissions de l’aéroport. Or, selon le président de cette ONG, seul un tiers des arbres plantés à Madagascar survivent après un an.
De manière générale, les compensations carbone visent des terres dans le Sud Global et nuisent aux populations qui en dépendent. Lors de la COP27, les peuples autochtones mettaient en garde contre cette forme de colonialisme vert [18]
[19].
Empêcher l’artificialisation des terres agricoles en Belgique est une démarche essentielle pour construire un système alimentaire réellement durable, solidaire et juste, aux impacts locaux et globaux bénéfiques.
3. Soutenir l’agriculture plutôt que financer la destruction
Un projet nuisible et coûteux
Le projet de l’aéroport de Liège est nuisible. Il fait le choix d’anéantir de manière irréversible des ressources stratégiques – en l’occurrence, des terres cultivables – pour les remplacer par des infrastructures qui anéantissent les efforts climatiques de l’ensemble du territoire wallon [20]. Ce choix économique est en contradiction flagrante avec le consensus scientifique et politique international [21].
Par ailleurs, le projet de l’aéroport de Liège a déjà bénéficié d’au moins 1,24 milliards d’euros de fonds publics [22] et le master plan 2040 nécessiterait 600 millions supplémentaires [23], dont on ne sait pas d’où ils vont provenir.. À titre comparatif, le Plan de relance de Wallonie prévoit de consacrer 124,4 millions d’euros au renforcement de la souveraineté alimentaire [24] – soit dix fois moins – et le chiffre de 25 à 50 milliards d’euros par an est avancé pour quantifier les investissements nécessaires à la transition de l’économie [25]. Une sidérante inversion des priorités de financement de la part du Gouvernement wallon. « Jamais la puissance publique n’aura à ce point démissionné devant des enjeux vitaux, pour aujourd’hui et pour demain » constatent le philosophe Dominique Bourg et l’historien Johann Chapoutot [26].
Des emplois dépourvus de sens
Pour justifier leur soutien au projet, nos responsables politiques s’accrochent à la défense de l’emploi. C’est que, d’après une étude commandée par l’ Awex [27], Liege Airport représenterait 3956 ETP pour l’année 2018 [28]. Or, pour limiter le réchauffement à 1,5°, il y a « nécessité de diminuer le niveau de trafic aérien mondial » d’après le collectif "Pensons l’Aéronautique pour Demain", qui est composé de différentes organisations dont des salariés de l’aéronautique, des syndicats, des étudiants, des ONG, des associations et des scientifiques. Pour autant, pas question de laisser qui que ce soit de côté : il faudra donc soutenir les reconversions professionnelles, poursuit le même collectif [29].
La transition créerait des emplois de qualité
L’utilisation de l’argument de l’emploi masque mal l’absence d’une vision adaptée aux enjeux socio-environnementaux actuels. Ce dont nous avons besoin pour répondre aux défis de la transition vers une société “bas carbone”, c’est de créer des emplois ancrés dans les territoires, à forte intensité de main-d’œuvre, porteurs de sens et non délocalisables. « Au total, la transition est susceptible de mener à une création nette d’emplois en Belgique, de l’ordre de 80 000 emplois en 2030 par rapport à un scénario à politique inchangée » selon une publication fédérale de 2016 [30].
C’est particulièrement vrai pour le secteur agricole, qui dispose d’un potentiel d’emplois important. Pour la France, une étude récente de l’IDDRI et du BASIC, conclut que, dans le cadre d’une transition attentive aux enjeux du climat, de la biodiversité, de la santé et de l’emploi, il serait possible d’élever le niveau de l’emploi agricole de 10% par rapport au scénario tendanciel, sans perte de revenu, et d’accroître l’emploi agroalimentaire de 8% par rapport à 2015 tout en contribuant à la restauration de l’agrobiodiversité et au développement d’une offre alimentaire plus alignée avec les recommandations nutritionnelles publiques [31]. Par ailleurs, on sait que, comparés aux circuits conventionnels, les circuits courts de proximité sont plus intensifs en emploi [32]et que plus une exploitation agricole est petite, plus elle nécessite de main-d’œuvre par unité de taille [33]. Enfin, au niveau européen, les paysan·nes et la société civile appellent l’Union européenne à « doubler le nombre de paysans et paysannes en Europe d’ici à 2040, en soutenant celles et ceux existant déjà et en promouvant l’installation de dix millions de nouvelles fermes » [34]. Transposée à la Wallonie, cette recommandation conduirait à la création de plus de 15 000 ETP d’ici à cette échéance [35].
Notons que cette transition de la Wallonie vers un système alimentaire durable a bel et bien commencé. Ce sont ainsi déjà plus de 1900 exploitations wallonnes qui sont engagées en agriculture biologique et près de la moitié des agriculteur·ice·s qui s’impliquent dans la mise en œuvre d’au moins une mesure agroenvironnementale et climatique (MAEC) [36].
À leurs côtés, des milliers de citoyen·ne·s s’investissent dans des initiatives en circuits courts à travers l’ensemble du territoire wallon (coopératives paysannes et citoyennes, ceintures alimentaires, groupes d’achats solidaire de l’agriculture paysanne, marchés locaux, etc.). Ce sont ces initiatives porteuses de sens et d’emplois qui doivent être soutenues massivement par les pouvoirs publics.
Nous demandons une vision économique à la hauteur des enjeux sociaux et environnementaux, qui réoriente nos modes de production et de consommation et soutienne par des politiques publiques ambitieuses la créativité et l’engagement des paysan·ne·s, transformateur·ice·s, distributeur·ice·s, mangeur·euse·s… –. Assumer dès aujourd’hui ce virage, c’est faire preuve de courage et témoigner de clairvoyance.
4. Les revendications du RESAP
L’extension de Liège Airport menace des centaines d’hectares de terres cultivées, la quiétude des riverains et les écosystèmes locaux. Au-delà de ces problèmes cruciaux, elle symbolise le choix d’un modèle économique qui consacre la fuite en avant, en tournant le dos aux enjeux climatiques, environnementaux, agricoles et alimentaires.
Les mouvements qui défendent l’agriculture paysanne et familiale (FUGEA, FJA, MAP, Boerenforum) sont parfaitement clairs : le manque d’accès à la terre est une menace structurelle pour l’activité agricole en Belgique. L’outil premier de toute activité nourricière, la terre, est devenu hors de prix.
L’agriculture familiale, nourricière, paysanne est porteuse de solutions pour notre environnement, notre souveraineté alimentaire et notre santé. Notre survie dépend de son soutien par des politiques publiques fortes ! Lui préférer une activité destructrice par simple appât d’un gain financier aussi incertain qu’éphémère serait la répétition d’une erreur trop commune dans l’histoire de la Wallonie… Nous ne pouvons nous contenter de promesses qui, sur le terrain, ne se concrétisent qu’exceptionnellement.
- Un moratoire sur l’extension de Liège Airport et l’instauration d’un véritable débat démocratique sur l’avenir des zones menacées.
- L’interdiction des changements d’affectation des zones agricoles en zones urbanisables et un moratoire sur tous les projets entraînant l’artificialisation de terres agricoles. Le principe de recyclage des terres déjà artificialisées telles que les friches et les sites à réaménager doit s’appliquer pour tous les nouveaux projets urbanistiques.
- L’inclusion de l’objectif de protection des terres nourricières dans le nouveau Schéma de Développement Territorial (SDT). Alors que le SDT a pour mission de définir la vision stratégique du développement territorial de la Région wallonne, sa version actuelle et les propositions avancées dans le cadre de sa révision n’intègrent pas d’axe spécifique à la question agricole et à la production alimentaire. La capacité des autorités à assurer la sécurité alimentaire de leurs populations est pourtant un enjeu essentiel. Cet axe doit ainsi apparaître de façon prioritaire dans le nouveau SDT et intégrer une protection renforcée aux terres cultivées.
- La protection de la fonction nourricière de la terre agricole dans le CoDT. La zone agricole du plan de secteur telle qu’établie actuellement dans le Codt, se limite à définir ce qu’on peut y construire ou non et n’impose aucune obligation quant à son usage. Il est ainsi indispensable de protéger la fonction nourricière des terres agricoles dans le Codt en interdisant ou limitant les activités récréatives et non nourricières sur les terres agricoles et en prévoyant un mécanisme d’autorisation d’occupation du sol.
- En parallèle à un arrêt de l’artificialisation des terres, un accompagnement financier, en plus des aides existantes, des agriculteurs.ices vers des pratiques agroécologiques et/ou biologiques favorisant la résilience alimentaire du territoire.
- La création et l’étude par la Région wallonne de scénarios alternatifs au développement aéroportuaire qui prennent en compte les enjeux agricoles, climatiques et de bien-être des riverains.
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