Vu dans la Presse : Colruyt achète des terres agricoles à grande échelle en Belgique

, par violaine@fian.be

Apache - 12 avril 2022 - Steven Vanden Bussche. Article original rédigé en Néerlandais.

Ces dernières années, la chaîne de supermarchés Colruyt a acheté plus de 175 hectares de terres agricoles et de pâturages par l’intermédiaire de sa filiale immobilière Colim. Ceux-ci sont principalement situés dans les environs du centre de distribution du Hainaut, mais aussi à proximité du siège social de Halle. Les organisations de la société civile craignent que les agriculteur.trice.s. n’aient plus leur mot à dire. Les investisseurs tels que Colruyt peuvent aussi souvent offrir davantage pour les terrains, ce qui fait encore grimper les prix.

Vendredi, une action est prévue sur la Bevrijdingsplein à Halle contre l’achat de terres agricoles par le groupe Colruyt. Plusieurs organisations d’agriculteurs (agro-écologiques) et de la société civile, dont Boerenforum, voient dans ces achats un symbole du vol des terres en Belgique.

Ces actions s’inscrivent dans le cadre de la Journée internationale de la lutte des paysannes. Le lieu n’a pas été choisi par hasard : le siège social de Colruyt a toujours été situé à Halle, dans le Brabant flamand. Le détaillant n’achète pas seulement des terrains pour construire des magasins, des parkings et des centres de distribution, mais depuis quelques années, il achète aussi délibérément des terres agricoles et des pâturages.

Mi-2018, Colruyt a surpris les agriculteurs, les experts de la distribution et les chercheurs en reprenant la ferme biologique Het Zilverleen avec 25 hectares de terres attenantes à Alveringem, en Flandre occidentale. Si les organisations agricoles sont perplexes par rapport au modèle de coopération avec le futur exploitant, elles expriment surtout leur crainte d’une intégration accrue de la chaîne de production alimentaire et d’une pression supplémentaire sur le prix des terres.

Le fait que l’acquisition de Het Zilverleen n’était pas une expérience unique est apparu clairement deux ans plus tard, lors de la création de la société d’exploitation Agripartners. Au moment de la fondation, Colruyt a précisé qu’avec Agripartners, elle souhaite exploiter ses terres agricoles autour des centres de distribution et "dans une moindre mesure autour des magasins", mais aussi acquérir de nouvelles terres.

Pour l’achat de terrains supplémentaires, c’est le large périmètre autour de son siège à Halle qui entre en ligne de compte, bien que des clusters régionaux puissent également être créés ailleurs, était-il alors précisé. Colruyt achète les terrains par l’intermédiaire de la société immobilière Colim, tandis qu’Agripartners est responsable de leur exploitation.

Apache a enquêté sur les actifs agricoles de Colruyt par le biais du registre foncier. Nous pouvons ainsi déterminer dans quelles régions les terres agricoles de Colruyt sont concentrées et quelle est la taille du portefeuille de terres.

La chaîne de supermarchés possède plus de deux cents hectares de terres à usage agricole, dont plus de trente hectares sont adjacents aux centres de distribution de Halle et Lessines (Lessen) dans le Hainaut. La grande majorité des parcelles est clairement à usage agricole, entre diverses parcelles cultivées appartenant à d’autres propriétaires. Sur certaines terres, le long de la N8 par exemple, il y a des éoliennes. Colruyt pourrait vouloir construire des filiales sur certaines des parcelles.

Colruyt se concentre sur les terres agricoles dans le Hainaut

Par le biais de sa société immobilière Colim, Colruyt acquiert des terres agricoles dans toute la Belgique, mais surtout à proximité du centre de distribution du Hainaut.

Hainaut en demande

Plus de la moitié des terres à usage agricole que Colruyt possède à la campagne sont situées juste de l’autre côté de la frontière linguistique, dans la province wallonne du Hainaut. Les champs et les prairies sont regroupés dans le large voisinage du centre de distribution de Lessen que Colruyt utilise pour les produits à rotation rapide.

Les champs sont principalement situés au sud de Ronce, à Frasnes-les-Anvaing et Leuze-en-Hainaut, mais surtout à Ath. En outre, Colim possède également des parcelles de terrain à Silly et Brugelette, ainsi qu’un plus grand lot de terres agricoles à Ecaussines.

Adjacent aux centres de distribution de Lessen et de Halle, Colruyt Group possède plus de trente hectares de terres à usage agricole, mais ces terres peuvent avoir été achetées (en partie) en vue d’une expansion. Plus loin de son centre de distribution de Halle, Colruyt possède encore des terres à usage agricole.

Colruyt veut vendre les produits cultivés sur ses propres terres dans ses propres magasins.

En outre, à Alveringem, la ferme biologique Het Zilverleen s’est agrandie de plus de huit hectares et, dans la commune voisine de Wulpen, qui fait partie de Koksijde, la branche immobilière du géant des supermarchés a acheté une grande parcelle de terrain agricole. Enfin, Colim a récemment acheté plus de six hectares de terrain dans la commune limbourgeoise de Gingelom, à la frontière du Brabant flamand.

Colruyt n’a pas répondu à notre demande d’explication sur la politique d’acquisition de sa filiale immobilière Colim. Quoi qu’il en soit, ces achats s’inscrivent dans la logique de Colruyt, qui se présente comme une entreprise privilégiant la production alimentaire locale. C’est ce qui ressort des précédents communiqués de presse et des informations diffusées sur ses propres canaux médiatiques.

En 2020, le directeur Stefaan Goethaert (Colruyt Fine Food) a donné quelques explications. Il a précisé que Colruyt veut désormais vendre les récoltes de ses propres terres agricoles dans ses propres magasins. En outre, l’achat de nouvelles terres agricoles s’inscrit dans une stratégie de "préservation des terres pour l’agriculture", précisément parce que l’entreprise souhaite vendre davantage de produits issus du sol belge.

M. Goethaert a ensuite expliqué que Colruyt ne souhaite pas cultiver la terre elle-même, mais qu’elle veut conclure des partenariats avec des agriculteurs locaux qui cultivent des produits adaptés à la demande des magasins. Colruyt souhaite également utiliser le terrain pour tester des innovations.

Pression sur les prix des terrains

Dans un texte commun, les fédérations agricoles Fugea (Fédération Unie de Groupements d’Éleveurs et d’Agriculteurs), MAP (Mouvement d’action paysanne) et le mouvement agroécologique flamand Boerenforum condamnent la stratégie d’achat de Colruyt et les nouvelles formes de partenariats avec les agriculteurs. Les organisations s’inquiètent de la pression exercée sur les prix des terrains.

La fédération des agriculteurs Fugea : L’arrivée d’acteurs puissants comme Colruyt sur le marché des terres agricoles menace d’accroître encore la pression sur les terres agricoles.

"Ces pratiques dépassées nous rappellent presque le servage féodal", a déclaré la Fugea dans un communiqué. "L’agriculture belge se caractérise par une pression croissante sur les terres, bloquant l’installation des jeunes et empêchant la reprise des exploitations. L’entrée sur le marché des terres agricoles d’acteurs puissants tels que Colruyt menace d’exacerber ce phénomène."

La FWA (Fédération wallonne de l’agriculture) avait également publié un communiqué déclarant "il y a suffisamment d’agriculteurs motivés en Belgique qui respectent les normes légales et veulent s’engager dans des partenariats équilibrés, afin de ne pas aboutir à un modèle agricole qui porte atteinte au principe d’indépendance et d’autonomie de décision auquel tout indépendant, et en l’occurrence tout agriculteur, devrait avoir droit".

Les terrains agricoles deviennent de plus en plus chers en Belgique, selon les chiffres de la Fédération des notaires (Fednot). Depuis 2018, Fednot trace l’évolution des prix des terres agricoles à travers son baromètre agricole annuel. Contrairement à la Wallonie, il n’existe pas de contrôle systématique des pouvoirs publics en Flandre.

Le prix des terres agricoles au premier semestre 2021 a connu la plus forte augmentation de ces cinq dernières années

Le dernier baromètre des notaires a montré que le prix des terres agricoles au premier semestre 2021 a connu la plus forte augmentation de ces cinq dernières années. C’est dans le Hainaut que le prix moyen à l’hectare a le plus augmenté.

Néanmoins, le prix moyen par hectare dans le Hainaut est resté le deuxième plus bas par rapport aux autres provinces belges. En moyenne, un hectare de terre agricole coûte 34 828 euros dans le Hainaut. En Flandre occidentale et à Anvers, ce chiffre est plus de deux fois supérieur.

En outre, la Fednot a noté qu’une parcelle de terre agricole dans le Hainaut fait en moyenne 1,6 hectare. Ce n’est le cas dans aucune autre province, mais c’est intéressant pour les investisseurs.

Intégration verticale

Diverses études réalisées par des organisations de la société civile comme RESAP, mais aussi FIAN Belgium, Voedsel Anders et De Landgenoten, ou des instituts de recherche comme l’Institut de recherche pour l’agriculture, la pêche et l’alimentation (ILVO), en expliquent les mécanismes. La Belgique est un pays densément peuplé et urbanisé où les terres agricoles sont
"rares" et où la concurrence avec d’autres utilisations, comme le défrichement ou la culture, est forte. L’aspect "subvention à l’hectare" de la politique agricole a également un effet d’augmentation des prix et conduit à la concentration des terres.

"L’arrivée d’un groupe agro-industriel financier puissant comme Colruyt sur le marché foncier belge va exacerber la situation. Chaque parcelle de terrain que Colruyt achète pour installer des travailleurs agricoles est une terre qui sera retirée aux exploitations familiales belges", affirment les organisations qui font campagne.

En achetant des terres agricoles, Colruyt s’approprie des moyens de production. De cette façon, le distributeur fait un pas de plus dans l’intégration verticale de la production alimentaire, notent les organisations. Cette "verticalisation" est une stratégie de diversification qui consiste à attribuer à un seul acteur le plus grand nombre possible de maillons de la chaîne de production. Contrairement à la location de terres, où les agriculteurs décident eux-mêmes de ce qu’ils cultivent, Colruyt décidera de ce que les agriculteurs doivent cultiver sur leurs terres ou de ce qu’ils pourront expérimenter.

L’intégration verticale signifie également que le distributeur devient lui-même un producteur. Par exemple, depuis 2019, Colruyt vend du basilic cultivé sur place dans ses magasins Bio-Planet. Pour ce faire, le détaillant a reçu le soutien de VLAIO, l’agence flamande pour l’innovation et l’entreprise.

Colruyt étudie également la possibilité de cultiver d’autres produits. Pour l’un des douze chantiers de la stratégie de durabilité de Colruyt, les "terres agricoles et entreprises propres" sont utilisées pour augmenter l’assortiment belge de pommes de terre, de légumes et de fruits frais d’ici 2024.

Le fer de lance de l’agriculture biologique

Les craintes des organisations d’agriculteurs du secteur agroécologique sont renforcées par le fait que Colruyt s’immisce activement dans le créneau de l’agriculture biologique. Dans la présentation des "changeurs de nourriture" (Voedselveranderaars) dans le cadre du projet Go4Food du gouvernement flamand, Bio-Planet apparaît dans 14 des 25 projets. Il n’est pas clair dans l’immédiat si Colruyt veut utiliser ses propres terres pour cela, mais l’entreprise recherche des agriculteurs bio pour mettre en place une chaîne de production de blé panifiable biologique.

Les sols sont en tout cas importants pour mettre en évidence les innovations, qui convainquent ensuite le consommateur via l’Eco Score, par exemple, un code couleur qui donne un aperçu de l’empreinte écologique d’un produit. Colruyt indique qu’elle se concentre sur la gestion durable de l’eau et la réduction de l’impact climatique en investissant, entre autres, dans l’énergie verte, l’agriculture carbone (où les agriculteurs extraient le carbone de l’air et le stockent dans le sol) et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ferme Maritime Westdiep : Colruyt regarde aussi vers la mer

. La chaîne veut devenir un innovateur dans le domaine de l’aquaculture en Flandre. C’est pourquoi Colruyt travaille au développement d’une ferme marine où les premières moules belges seront cultivées d’ici le printemps 2023 et, à terme, des huîtres et des algues également. Le groupe de supermarchés place ces ambitions dans le cadre du défi consistant à exploiter de nouvelles sources locales de protéines.

Le groupe de supermarchés voit également une synergie entre l’agriculture et ses activités dans le domaine de l’énergie éolienne, qui sont regroupées au sein de la holding énergétique Virya Energy depuis 2020. Dans le Hainaut, par exemple, il y a déjà des éoliennes sur des parcelles de terres agricoles, mais le groupe dit vouloir également produire de l’énergie verte chez ses producteurs agricoles.

Une vision plus large

Dans le cadre de l’intégration verticale, des agro-industriels comme Socfin ont acheté de grandes étendues de terre dans le Sud, ou en Europe de l’Est. Les chaînes de supermarchés concluent également toutes sortes de partenariats avec des agriculteurs plus éloignés.

Les organisations placent aussi cette action contre Colruyt dans le contexte global : "ce qui est en jeu, c’est la perte d’indépendance, d’autonomie et de résilience des agriculteurs. Leur sort est un déséquilibre de pouvoir qui repose entre les mains des entreprises qui les embauchent."

Les organisations paysannes, environnementales et climatiques demandent à Colruyt de cesser d’acheter des terres agricoles. "Pour développer des systèmes alimentaires durables, nous devons avoir confiance en nos agriculteurs et nous n’avons pas besoin de l’ingérence des grossistes et des grands magasins dans nos champs", disent-ils.

Les organisations avertissent les consommateurs que la stratégie de durabilité présente des caractéristiques de greenwashing et de local washing. "La question des conditions de travail, l’autonomie, la possibilité de s’organiser pour obtenir des prix équitables et la possibilité d’acquérir un terrain sont des critères aussi importants que le nombre de kilomètres entre le champ et le supermarché."

Enfin, les organisations appellent les responsables politiques régionaux et fédéraux à prendre des mesures pour maintenir l’accès aux terres agricoles et un modèle agricole à petite échelle, social et respectueux de l’environnement.

Merci à Steven Vanden Bussche, journaliste à Apache pour l’autorisation de publier et de traduire l’article original paru sur Apache.be ce 12 avril 2022 en Néerlandais.

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