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Quelle résistance créative pour soutenir et amplifier l’agriculture paysanne en Belgique ? (avril 2016)
Depuis 6 ans, le Resap organise chaque 17 avril, journée mondiale des luttes paysannes, une mobilisation en Belgique destinée à mettre en avant l’importance de soutenir un autre modèle alimentaire. Le Réseau de Soutien à l’Agriculture Paysanne a 6 années d’existence et est composé d’associations, de citoyen-ne-s, activistes et collectifs divers. C’est une association de fait et un réseau informel d’échanges, de réflexion et d’élaboration d’actions collectives de sensibilisation destinées à soutenir concrètement, par des actions de terrain, l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire : en particulier en Belgique et en solidarité avec les paysan-n-e-s du Sud.
Retour sur 6 années d’activités. Six ans c’est peu d’années pour évaluer le chemin parcouru et l’impact obtenu, tant le modèle agro-industriel a détruit l’agriculture paysanne dans nos régions, et que la tâche collective est gigantesque pour reconstruire une agriculture paysanne qui est la seule à pouvoir garantir notre souveraineté alimentaire. En 6 ans, nous avons organisé des réunions, mis en place des mobilisations ou actions à Bruxelles et ailleurs en Belgique, lors des 17 avril ou à d’autres occasions en lien avec la question des semences ou de la PAC. Nous avons accueilli en Belgique des ami-e-s européens à plusieurs reprises(1), et nous en avons rencontrés d’autres en Autriche, en 2011 à l’occasion du Forum européen « Nyeleni » pour la Souveraineté Alimentaire. Nous avons soutenus des activistes du FLM accusés à tort par la justice d’être des malfaiteurs et nous sommes devenus « patatistes »(2). Des multiples interventions ont été faites après des documentaires ou des spectacles, dans des débats, via des communiqués de presse dans les médias, dominants comme alternatifs…Tout ceci a contribué à sensibiliser d’avantage le public à l’agriculture paysanne.
Nous avons soutenu la création du Mouvement « Terre-en-Vue » pour lutter contre la difficulté de l’accès à la terre dans nos régions. Nous nous sommes à plusieurs reprises rassemblé-e-s lors des 17 avril autour du slogan « Pas de terre sans paysans, pas de paysans sans terre ! » lors de bourses de semences, de rassemblement, de fêtes. Puis nous avons décidé d’aller un cran plus loin dans l’enracinement de nos luttes à l’occasion du 17 avril 2014.
Le 17 avril 2014, un tournant ? Ce jour-là, suite à la conviction de quelqu’un-e-s, un appel du Resap a été lancé afin d’aller planter des patates sur le terrain du « Keelbeek », un terrain anciennement cultivable qui a été vendu et est aujourd’hui menacé par le projet de construction d’une Maxi-prison pour l’État Belge. Malgré l’interdiction de la « Régie des Bâtiments » propriétaire du terrain, 400 personnes ont désobéis collectivement en plantant des centaines de patates sur une partie du terrain. Ce fut la première action marquante de désobéissance civile du Resap.
Peu après, une série d’activistes d’horizons divers ont ensuite occupés et habités durant 1 an la zone, en ont fait une ZAD (Zone À Défendre), sur laquelle diverses composantes de la lutte ont eu des rencontres, assemblées. Un potager a été lancé, des événements festifs s’y sont déroulé, des cabanes y ont été construites, tout ça contribuant à faire converger les luttes, à créer de la vie, et faire réfléchir à la manière dont sont « gérés » nos territoires. Mais les occupant-e-s se sont fait expulsés manu militari par la Police en septembre 2015, et la ZAD a été détruite par la police. La justice a jugé par la suite que l’expulsion était illégale…
Le terrain du Keelbeek, un symbole de la lutte contre le béton « et son monde » ?
Alors quel lien réel entre ces 18 hectares à Haren et les luttes paysannes ? Cette mobilisation et occupation a permis non seulement de faire connaître ce méga-projet socialement inutile et écologiquement nuisible, mais aussi de remettre à l’agenda de la société civile la nécessité de préserver les espaces naturels et les terres arables en milieu urbain et péri-urbain(3). Rappelons qu’environ 240 hectares « cultivables » sont disponibles en Région Bruxelloise et qu’une partie de ces espaces sont menacés par divers projets immobiliers alors que le nombre de logements et bâtiments vides à Bruxelles est très important, ce qui est socialement inacceptable.
Bien sûr, la souveraineté alimentaire d’une Région comme Bruxelles ne passera pas uniquement par l’agriculture urbaine et nous aurons surtout besoin d’une agriculture en milieu rural qui soit familiale et paysanne, respectueuse du vivant et de tous les êtres humains, en circuits courts avec les villes.
Mais en 2016, dans les villes comme dans les campagnes, au Sud comme au Nord de la planète, des terres sont menacées et notre capacité collective à faire face à la destruction capitaliste de l’agriculture paysanne reste insuffisante, même si le nombre de projets et personnes mobilisées en faveur d’un autre modèle alimentaire est quand à lui exponentiel.
Haren est un symbole du grignotage de la nature par les villes et bétonneurs de tous bords, qui sont souvent guidés par le profit, quel qu’en soit la réalisation qui est derrière ; prisons, logements, usines, carrières, complexes divers, zoning industriel ou commercial...Nous devons leurs résister de façon créative, en enracinant nos luttes dans une réalité concrète, là où des terres arables sont menacées, où des gens vivent, en y créant des projets d’agriculture paysanne qui augmentent à long terme la qualité de vie de la société toute entière.
Résister, occuper, semer
En France, « Sème ta zad » est un appel à cultiver les terres qui a été lancé dans le cadre de la mobilisation et occupation de terres, contre le projet de construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes (NDDL) dans la région de Nantes(4). Une occupation de la zone toute entière (rebaptisée pour la première fois « ZAD ») a été lancée par des activistes avec l’appui de familles paysan-ne-s qui refusaient de partir. Après la tentative d’expulsion violente de l’État français lors de « l’opération César » fin 2012, après des semaines d’affrontements avec les forces de l’ordre puis leur départ face à la résistance...des projets collectifs y ont emergé.
Malgré la difficulté du « vivre ensemble » et les divergences sur les tactiques à adopter, la mobilisation contre le projet a gagné en puissance et des convergences multiples ont eu lieu. Peu à peu, les différentes composantes de la lutte (Agriculteurs, Confédération Paysanne, associations écologistes, milieux autonomes, mouvements écologistes, altermondialistes et d’extrême gauche…) ont réussi à affirmer une unité entre opposant-e-s et en 2016, la construction de l’aéroport n’a pas démarré. La ZAD est pour le moment préservée et s’est transformé en un vaste espace d’expérimentation agricole et sociale avec le lancement et renforcement de divers lieux de production pour un autre système alimentaire (5).
Alors quel rôle pour nos mouvements sociaux en Belgique ?
Un scénario « NDDL » est-il envisageable en Belgique ? N’avons nous pas chez nous aussi de multiples espaces de territoires menacés ? La Wallonie a perdu 60.000 ha agricole en 30 ans au profit de l’urbanisation, c’est à dire environ 1200 fermes moyennes. Pourtant aujourd’hui, des organisations nord-sud, environnementales et d’éducation permanente, des syndicats agricoles se mobilisent sur des questions essentielles comme le bail à ferme en Région Wallone ou la protection des terres arables en périphérie de la Région Bruxelloise. Ce travail de plaidoyer politique a son importance en vue de modifier certaines lois, mais nous devons nous poser aussi la question de la complémentarité des moyens de poursuivre nos luttes à long terme. Nous devons en dehors de nos mobilisations classiques imaginer et emprunter collectivement « d’autres voies » afin d’assurer à long terme et en dehors de tout calendrier politique officiel, des systèmes alimentaires locaux de qualité aux générations futures. Résister c’est créer, et créer c’est résister.
La Belgique n’est pas la France. L’histoire de nos syndicats paysans est différente et les organisations belges similaires à « La Conf’ » en France - Le MAP et la FUGEA - membres de la Via Campesina n’ont pas la même force de frappe pour mener seuls leurs luttes, leur ancrage dans les mouvements sociaux en Belgique n’est pas aussi marqué qu’en France. Pourtant de nombreux jeunes souhaitent « se lancer » et ne trouvent pas facilement de terres, souhaitent « reprendre » la ferme de leurs parents mais ils sont endettées, de nombreux groupes de « mangeurs » se créent et souhaitent soutenir des paysan-ne-s, mais des centaines d’agriculteur-rice-s sont en détresse et se sentent seuls…Cependant, on n’a jamais autant parlé d’alimentation durable, de bio, de restaurants slow food, on n’a jamais autant vu de documentaires sur la réalité de l’agriculture d’aujourd’hui. Les initiatives de transition et alternatives en lien avec l’alimentation se multiplient partout ; ceintures alimentaires, coopératives, marchés paysans, cantines biologiques…Un mouvement est donc bel et bien en marche. Et il faut reconnaître, que le soutien de projets par des financements publics est un des moteurs de cette émergence. Mais le bon sens humain, la prise de conscience systémique des enjeux, et l’envie pressante et urgente d’une Toute Autre Alimentation par une part croissante des populations est un autre moteur plus déterminant encore. Est-ce suffisant ?
« Reclaim the fields », une option manquante dans nos mouvements ?
S’organiser collectivement ! Sans dépendre des seuls financements publics pour s’assurer une autonomie à long terme. Entre paysans et mangeurs, entre agriculteurs conventionnels souhaitant la transition et associations de sensibilisation promouvant la transition agroécologique, entre activistes et citoyen-ne-s. Pour enfin se réapproprier les terres cultivables et notre alimentation, quitte à désobéir à la loi, à occuper des terres, pour au final semer des alternatives complémentaires à tout « ce qui se fait déjà », il nous faut envisager une initiative complémentaire et parallèle, la plus horizontale possible, sans forme d’autoritarisme et de hiérarchie.
Est-ce que le Resap peut faire cela ? Il le fait en partie déjà...Mais nous manquons de ressources activistes et citoyennes par rapport à l’énergie et aux « moyens » déployés par les organisations structurées. Peu dans le Resap (et ce n’est pas une critique) ont le temps, l’énergie et la possibilité de s’impliquer dans la désobéissance civile, des occupations, des actions directes non violentes, des échanges de savoirs. Il nous faudrait peut-être bien s’inspirer de réseaux comme « Reclaim The fields ». C’est un réseau autonome de paysanNEs, de sans terres et de paysanNEs en devenir, se sentant proche de la Via Campesina et composé de personnes qui veulent retrouver le contrôle de la production alimentaire. Son but est de défendre la souveraineté alimentaire, d’encourager les gens, surtout les jeunes, à rester ou à retourner en milieu rural. Par des rencontres régulières, des actions déterminées et en lien avec des initiatives existantes, ce réseau essaie de soutenir et créer des alternatives au capitalisme au travers d’initiatives et de modes de production coopératifs, collectifs, autonomes et à petite échelle.
Ainsi, en lien avec les initiatives existantes, afin d’ouvrir de nouveaux espaces de convergences entre différentes composantes de nos luttes, dans les fermes, les potagers, les villes et villages qui font fasse à la menace du « béton » et son monde, rencontrons-nous. Afin d’envisager d’autres formes d’agir, ici et maintenant, de freiner le rouleau compresseur de l’agro-industrie, de construire des nouvelles solidarités et stratégies, profitons du 17 avril 2016 pour envisager avec tous ceux-celles qui le souhaitent la relance d’un collectif « Reclaim The Fields Belgium ».
(1) « Good Food March », « Free Our Seeds »,...
(2) http://www.fieldliberation.org/
(3) Voir à ce sujet le travail de la plate-forme « Haren Under Arrest » : http://www.harenunderarrest.be/fr/
(4) Plus d’infos sur l’appel : http://zad.nadir.org/spip.php?rubrique44
(5) Voir des exemples via : http://reporterre.org/La-Zad-de-Notre-Dame-des-Landes et http://www.bastamag.net/A-Notre-Dame-des-Landes-mille-et-un-projets-pour-inventer-un-autre-monde